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ETAT SOCIAL ET JUSTICE SOCIALE 1Faut-il réformer l'Etat social, le rendre plus sélectif, au profit des plus mal lotis, et au détriment des mieux lotis ? A cet égard, deux thèses s'affrontent depuis le milieu des années 1990 (le débat ayant resurgit en 2004, à l'occasion de la réforme de l'assurance maladie). Pour les uns, l'exigence éthique (il faut donner plus à ceux qui ont moins), comme la situation économique tendue imposent une révision des modes de redistribution de la protection sociale : par exemple, en adoptant un critère de revenu pour certains remboursements maladie, en réservant les prestations familiales pour les plus en difficulté, etc. Mais les arguments invoqués ici sont discutables : notamment, ils subordonnent le caractères plus ou moins juste du système de sécurité sociale, non à sa logique propre, mais à l'état de la situation économique du pays. Surtout, le rejet des mieux lotis du bénéfice des prestations sociales, risque fort de les détourner vers des systèmes privés d'assurance, et de briser la chaîne d'interdépendance et de redistribution de la sécurité sociale. Ainsi, à l'inverse, d'autres se refusent-ils à briser cette interdépendance entre l'ensemble des cotisants et des bénéficiaires de la sécurité sociale. On se heurte alors à un autre obstacle : comment peut-on justifier qu'un système de redistribution solidaire fondé sur l'idée de l'égale utilité de tous dans le travail, puisse être conservé, alors que des pans entiers de travailleurs sont désormais, totalement ou partiellement, exclus du monde du travail ?Là encore, ne risque-t-on pas, faute de justifications robustes à destination des mieux lotis, de les inciter à quitter un système de solidarité qu'ils ressentent comme trop coûteux pour eux ? Dans les deux options en conflit, la simple référence à l'idée de discrimination positive, sans plus de justifications théoriques, ne suffit pas comme référence pour des justifications convaincantes, que se soit pour un plus grand ciblage de l'Etat social, ou pour son maintien dans le cadre d'une interdépendance solidaire. En revanche, la référence à la problématique de Rawls est susceptible de fournir des justifications plus convaincantes en faveur d'un maintien de l'interdépendance entre l'ensemble des sujets. En particulier, la formalisation rawlsienne du développement des sociétés développées, assis sur la complémentarité des talents, et appréhendé sur une longue durée, permet de mieux fonder la position des partisans du maintien d'une interdépendance solidaire, dont les précaires et les exclus sont parties intégrantes. En effet, la société (post-industrielle) d'aujourd'hui est en partie issue de la société industrielle d'hier (dont les OS - équivalents sociologiques des exclus d'aujourd'hui - en étaient le cœur). Il n'y adonc aucune raison, pour que les personnes bien intégrées professionnellement, soient les seules à tirer profit des retombées de la société industrielle. Par ailleurs, la référence à la théorie rawlsienne, est fructueuse pour aborder d'autres questions liées à ce débat sur l'Etat social, telles que : les effets pervers des politiques de discrimination positive, les « devoirs » des précaires et des exclus à l'égard de la société, ou le Revenu d'existence.
[1] Présentation des enjeux autour d'une application des principes de justice dans le cadre de débats sur l'évolution de l'Etat social. Voir, Simon Wuhl, L'égalité. Nouveaux débats, PUF, 2002, pp. 115 à 146.
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