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Communautarisme 1-------------Dans le langage socio-politique courant, le « communautarisme » évoque l’idée d’une référence quelque peu caricaturale au modèle anglo-saxon d’organisation de la société, censé encourager les tendances au repli communautaire, au conflit entre les cultures, au fractionnement de la société globale, voire à la priorité donnée aux droits collectifs sur les droits individuels (avec un enfermement des individus au sein de leur communauté). Sur le plan de la philosophie politique, cette notion renvoie à un débat sur la reconnaissance des identités culturelles, impulsé depuis les années 1980 par le courant de pensée dit des « communautariens ». Or ces derniers pour la plupart, souhaitent par leurs réflexions et leurs propositions, éviter justement les dérives du communautarisme telles que nous les avons décrites. La question de la reconnaissanceLe philosophe canadien Charles Taylor, l’un des penseurs communautariens
les plus influents, a procédé à l’actualisation
des idées de Hegel ou de Rousseau concernant les aspirations fondamentales
des individus sur le plan moral, à bénéficier de
l’estime des autres et à faire reconnaître publiquement
leur valeur sociale (Ch. Taylor, 1992 et 1997). Selon ce penseur, les
conditions de réalisation de la vie commune dans les sociétés
modernes ne se réduisent pas à l’intégration économique
de l’ensemble des membres. Certes, le déterminant économique
est une condition fondamentale de l’adhésion aux valeurs
collectives. Mais pour Charles Taylor, le déni de reconnaissance
culturelle peut provoquer des dégâts moraux tout aussi dévastateurs
que ceux de la précarité économique, conduisant à la
désocialisation ou à un repli identitaire que l’on
souhaite précisément conjurer. La réévaluation communautarienne de l’appartenance culturelle.De façon schématique, ce qui rapproche les penseurs communautariens
(Charles Taylor, Michaël Walzer, Michaël Sandel, notamment), c’est
le primat qu’ils accordent aux contextes collectifs d’appartenance
des individus, dont l’appropriation (ou la réappropriation) par
chacun leur paraît indispensable à la réalisation des projets
de vie authentiques. En cela ils se distinguent des conceptions libérales
de l’intégration socio-culturelle, celles de John Rawls notamment,
qui a considérablement transformé le modèle libéral
en introduisant des clauses relatives à une solidarité économique
et sociale garantie par l’Etat dans ses principes de justice. (J. Rawls,
1971 et 1987). Mais John Rawls reste fidèle aux présupposés
philosophiques du libéralisme, en ce sens qu’il prône une
organisation de la société autour de principes de justice régulateurs,
principes supposés impartiaux, valables indépendamment des contextes
sociaux et culturels des sociétés. Autrement dit, Rawls accorde
un primat à l’appréhension individuelle sur l’appréhension
collective dans la recherche d’une organisation souhaitable de la société (la
société étant considérée ici comme un ensemble
différencié d’individus) ; alors que dans la perspective
des communautariens, la société est pensée à partir
du contexte du collectif qui en constitue l’étoffe. • Premièrement, la connaissance par chacun de sa propre appartenance
culturelle et donc des déterminants socio-historiques de son identité,
constitue une condition indispensable à un accomplissement personnel
authentique et non aliéné (non subordonné aux déterminations
extérieures- lois du marché ou autres cultures-, substituts « plaqués » artificiellement
sur l’individu). Cette condition implique une reconnaissance de la valeur
sociale de la collectivité d’appartenance des sujets à culture
minoritaire ; d’où une nécessité d’intervention
de l’Etat afin de conforter les contextes sociaux et les institutions
de ces minorités culturelles. Minorités culturelles et modèle républicain : quelques perspectives d’évolution.Face aux limites rencontrées
par le modèle républicain,
celles liées notamment à la plus grande hétérogénéité culturelle
du corps social, des réflexions se développent en France
pour surmonter certaines rigidités de ce modèle sans
compromettre l’esprit
qui l’anime (la laïcité particulièrement)
: Comme l’a montré l’intensité du débat
précédant
la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école,
la question culturelle est certes sensible en France, mais les idées
dans ce domaine connaissent une certaine évolution. L’intervention
sociale sur le terrain est constamment confrontée au « fait
communautaire culturel »,
notamment dans le secteur de l’habitat, des conditions de peuplement
du logement social et de la gestion de ses conséquences sociales.
Cette action sociale est soumise à un double risque : celui,
premièrement ,
d’appréhender toute personne d’une certaine origine
culturelle comme pleinement représentative de sa tradition ou
de ne la considérer
que sous l’angle de cette tradition (risque de stigmatisation)
; à l’inverse,
deuxièmement, celui de refuser toute prise en considération
des cultures revendiquées, par crainte du « communautarisme » (risque
de déni de reconnaissance). Entre ces deux dangers, la raison
incite à procéder
comme nous l’avons proposé face au « fait communautaire » en
général : par l’évaluation collective de
la situation sans à priori , dans chaque contexte d’action
sociale et en liaison avec les intéressés, pour définir
les orientations les plus appropriées.(voir
la notice sur la notion de « communauté »). Bibliographie• André Berten et al., Libéraux et communautariens,
PUF, 1997.
[1] Texte de Simon Wuhl paru dans le Nouveau dictionnaire de l’action sociale, (sous la direction de Jean-Yves Barreyre et Brigitte Bouquet), Bayard, Octobre 2006. .
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