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IDENTITE COLLECTIVE ET MODELE FRANCO-REPUBLICAIN 1
Le modèle français d'intégration à la société, d'intégration des étrangers notamment, présente deux facettes : la première, à caractère universaliste, prône l'égalité civique des citoyens, par delà leurs différences historiques, sociales ou biologiques ; la seconde, d'essence culturelle et « particulariste », consiste à fournir une substance plus concrète à cet universalisme par trop abstrait, en procédant à une intégration de tous les individus, quelle que soit leur appartenance culturelle originelle, au sein de la culture majoritaire préexistante. Combiné à une non reconnaissance des expressions culturelles minoritaires dans l'espace public, ce modèle franco-républicain d'intégration se voit fortement interrogé pour plusieurs raisons : premièrement, il existe une contradiction entre cette forme d'intégration au sein d'un modèle culturellement homogène, d'une part, et la nature de plus en plus hétérogène de l'espace culturel des sociétés démocratiques développées ; deuxièmement, de nombreux auteurs ont mis en évidence le caractère essentiel pour l'auto réalisation du sujet, de la restitution de ses liens avec sa communauté d'appartenance culturelle(y compris pour pouvoir rompre, en connaissance de cause, avec son identité originelle) ; troisièmement, de nombreuses études et enquêtes révèlent l'existence dans la pratique, d'une volonté de maintien des cultures « minoritaires »- à base religieuse ou laïque- et d'une recherche de leur reconnaissance dans l'espace public ; quatrièmement, enfin, il existe des symptômes importants de dysfonctionnement du modèle franco-républicain d'intégration, tels que la persistance des discriminations à connotation raciste, l'approfondissement de l'inégalité des chances au sein de l'institution scolaire ou l'expression par la violence d'une crise de la conscience civique. Face à ces manifestations des limites de ce modèle, certaines réflexions sur son évolution se font jour, qui s'orientent dans deux directions : celle de la tolérance transitoire des différences culturelles, d'une part ; celle de la pleine reconnaissance du « sujet multiculturel », d'autre part, à la condition que les « collectivités culturelles » ne soient pas reconnues en tant que telles. La tolérance transitoire des différences culturelles consiste en une proposition d'assouplissement des principes républicains dans leur application, sans les modifier dans leur fondement. Ainsi, Dominique Schnapper reconnaît-elle qu'il convient de répondre à certaines aspirations culturelles des immigrés telles que : apprentissage de la langue d'origine, plus grande prise en compte des cultures minoritaires au sein de la culture majoritaire, etc. Mais cet auteur se refuse à conférer un statut permanent à ces dispositions d'assouplissement, à institutionnaliser des pratiques sociales identifiées comme « particularistes ». Les arguments à l'appui de sa thèse son connus : reconnaissance des différences pour justifier des inégalités, risques de fragmentation du lien social, impossibilités pratiques face à une surenchère de revendications culturelles, etc. Mais, de sérieuses objections à cette thèse peuvent également être élevées : organisation d'une assimilation différée qui ne dit pas son nom, construction d'un lien social factice, déni de reconnaissance et injustice faite aux minorités culturelles, etc. On peut proposer des réponses à ces objections dans le cadre d'un modèle d'« égalité complexe », où l'identité culturelle est un bien social à forte signification sociale pour un certain nombre de personnes, au même titre que la ressource économique et le pouvoir politique, par exemple. L'idée de la reconnaissance « d'un sujet multiculturel », ou d'une reconnaissance « individualisée » des différences, se retrouve chez plusieurs auteurs (Alain Renaut et Sylvie Mesure, Alain Touraine, Michel Wieviorka, etc.). A partir d'analyses d'origine diverse - une redéfinition du libéralisme kantien (A. Renaut et S. Mesure), une conciliation des versants objectifs/économiques et subjectifs/culturels de la modernité (A. Touraine), une observation sociologique du caractère évolutif des identités culturelles (M. Wieviorka) -, tous ces auteurs prônent une prise en compte de la différence culturelle dans les orientations socio-politiques notamment. Mais ils s'accordent également sur le refus de figer les identités culturelles, et sur une opposition à toute reconnaissance collective (à l'échelle d'un groupe considéré en tant que tel) de ces identités. L'objection est alors la suivante : face à la complexité des évolutions des identités culturelles minoritaires, comment retrouver des références stables ? Comment éviter que ces identités -surtout si elles se manifestent sous une forme sécularisée -, privées de références collectives, ne se réduisent à une simple hybridation avec la culture majoritaire, sans possibilité d'appropriation en profondeur de la culture originaire ?Comment éviter une aliénation des sujets issus de ces cultures minoritaires, contraints de subordonner leurs nouvelles références, aux ressources de la culture majoritaire qui leur est extérieure, ou, à défaut, aux normes utilitaristes de l'économisme ambiant ? Comment concilier la satisfaction aux aspirations culturelles avec les impératifs d'un lien social non fractionné 2 ? [1] Résumé des différentes forme de positionnement intellectuel vis-à-vis du modèle « franco-républicain », de la part de certains auteurs critiques par rapport à ce modèle. Voir Simon Wuhl, L'égalité. Nouveaux débats, PUF, 2002, pp.300 à 337. [2] Voir également, sur ce site, l'article : « pour une multi-appartenance critique ». |
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