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POLITIQUES  D'INSERTION  ET  PRINCIPES  DE  JUSTICE 1

On adopte ici une définition extensive du champ des politiques d'insertion, qui comprennent l'ensemble des formes d'intervention susceptibles d'améliorer les chances d'intégration professionnelle des exclus et des précaires : services aux personnes (formation, suivi social, etc.) et action sur les structures d'entreprises (contenu et organisation du travail, etc.). Pour l'application des principes de justice de Rawls, on procède en deux étapes : une approche restreinte, à partir de l'analyse de la distribution des mesures d'insertion dans la population des chômeurs et des précaires ; une approche plus approfondie, à partir de la répartition de cette population au sein des processus d'insertion (qui ne se réduisent pas à des simples mesures administratives).

Vis-à-vis de la répartition des mesures d'insertion, une première démarche simple d'évaluation d'une politique locale suivant des critères de justice de Rawls, consiste à vérifier si les mesures les plus performantes en termes d'intégration professionnelle (les contrats d'insertion en entreprise) sont bien attribuées aux chômeurs et précaires les plus en difficulté, soit, les moins qualifiés (en première approximation). Ce principe étant assorti d'une limite qui le rend crédible (principe de différence de Rawls) : cela ne doit pas entraîner une détérioration globale de la situation socio-économique des exclus sur le site (une augmentation de cette population ou un allongement de la durée moyenne du chômage de longue durée, par exemple.)

 Sur cette base, l'évaluation menée sur des sites de la région Ile-de-France montre que les modes de distribution des mesures d'insertion sont souvent injustes, en attribuant les mesures les moins performantes (les formations hors travail), aux chômeurs les moins qualifiés.  

Vis-à-vis d'une démarche plus approfondie, d'analyse de la distribution de cette population au sein des processus concrets d'insertion, on peut élaborer des modèles-types de processus, à partir des formes d'interaction entre les sphères de l'insertion, d'une part, et de la production, d'autre part.

On peut alors distinguer trois configurations :

Un modèle de séparation entre insertion et production, où l'ensemble de l'insertion s'effectue sans contact avec le monde de la production.

Un modèle de coordination, où les contacts existent, mais sans modification des logiques de l'entreprise (contenu et organisation du travail, notamment).

Un modèle de coopération, où les actions d'insertion concernent conjointement l'employabilité des chômeurs et les logiques d'entreprise.

En nous basant sur le corpus de la théorie de la Régulation, d'une part, sur des expérimentations sociales, d'autre part, nous émettons l'hypothèse qu'un processus d'insertion est d'autant plus performant qu'il se rapproche d'une configuration coopérative.

 La démarche la plus juste est donc celle qui inscrit les chômeurs les moins qualifiés au sein des processus les plus coopératifs d'insertion (en tenant compte des limites imposées par le principes de différence, de non régression de la situation de ces moins qualifiés sur un site). Ajoutons que ces processus coopératifs d'insertion comprennent des actions à caractère structurel - d'intervention sur les causes de l'exclusion -, ce qui correspond tout à fait à l'esprit du second principe de justice de Rawls.

L'analyse en termes de processus et de modèles d'insertion, appliquée lors des évaluations précitées en région Ile-de-France, rend mieux compte des démarches de type coopératif initiées, même lorsqu'elles n'utilisent pas les mesures d'insertion en entreprise.

Il serait souhaitable enfin, que ce type d'application de principes de justice sociale à l'affectation des processus d'insertion, donne lieu à des délibérations locales, entre associations et institutions, notamment.

 



[1] Présentation d'une application des principes de Rawls dans le cadre d'une évaluation des politiques locales d'insertion.Voir : Simon Wuhl, L'égalité. Nouveaux débats, PUF, 2002, pp. 159 à 178.

 

LISTE RECAPITULATIVE DES TEXTES PROPOSES